Maîtrise d'informatique - Module 18
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Dans ce chapitre, nous allons donner la définition mathématique de la transformation de Fourier, en faisant un parallèle avec la dérivation. Nous donnerons ensuite quelques exemples de calcul de transformées de Fourier, et verrons la difficulté de mener de tels calculs. Cela nous amenera à chercher un moyen pour calculer une transformée de Fourier quelconque, chose qui sera faite au chapitre 3.
Commençons par rappeler la définition de la dérivation, ainsi que la nomenclature qui lui est associée.
La dérivation est une application qui associe à une fonction réelle f(t) d'une variable réelle, une fonction réelle d'une variable réelle, notée f'(t), appelée "dérivée de f(t)", et définie par :
lorsque cette limite existe, pour un réel t quelconque. L'ensemble des fonctions f(t) admettant une dérivée étant stable par combinaisons linéaires (facile à prouver), est un espace vectoriel. C'est l'espace vectoriel des fonctions dérivables. est une application linéaire non bijective sur cet espace vectoriel.
:
Nous allons voir qu'il existe une grande similitude entre la dérivation et la transformation de Fourier.
La transformation de Fourier (unidimensionnelle) est une application qui associe à une fonction complexe f(t) d'une variable réelle, une fonction complexe d'une variable réelle, notée , appelée "transformée de Fourier de f(t)", et définie par :
(2.1)
lorsque cette intégrale est définie, quel que soit le réel w. L'ensemble des fonctions f(t) admettant une transformée de Fourier, étant stable par combinaisons linéaires (facile à prouver), est un espace vectoriel. L'application est une application linéaire bijective sur cet ensemble, qui n'est autre que l'espace vectoriel T défini au chapitre 1. On dit aussi que est un automorphisme de T.
:
Remarques :
Soit la base canonique usuelle de R3 , que l'on renomme ici . Un vecteur quelconque de R3 s'écrit :
Si . désigne le produit scalaire de R3, alors, pour i = 1, 2 ou 3 :
(2.2)
donc :
(2.2 bis)
Si f(t) et g(t) désignent deux fonctions complexes d'une variable réelle, l'opération suivante est un produit scalaire entre fonctions :
où désigne la fonction complexe conjuguée de g(t).
En particulier :
est appelé le "carré scalaire" de f(t), ou "carré de la norme" de f(t).
Soit f(t) une fonction de T, c'est-à-dire que f(t) peut s'écrire sous la forme :
Cette expression est l'équivalent d'une "combinaison linéaire" de fonctions ejwt, et x(w) est l'équivalent de la "coordonnée" de f(t) sur ejwt.
Par analogie avec (2.2), on pourrait s'attendre à ce que :
En fait, cette égalité n'est pas tout à fait vraie, mais on montre que :
c'est-à-dire que :
ou encore :
(2.3)
En reportant dans la définition de f(t) :
(2.4)
Cette formule est la formule inverse de (2.1). Elle présente une analogie avec (2.2 bis).
Remarque importante :
On vient de voir que, si f(t) est dans T, alors est définie et égale, à un facteur près, à x(w), ce que l'on peut résumer par :
:
D'après l'étude précédente, est une bijection entre T et T' = (T), donc on peut définir son inverse -1 :
-1 :
Ceci suffit à prouver que est un isomorphisme de T dans T'. Nous allons maintenant montrer que T et T' sont égaux, ce qui permettra de conclure que est un automorphisme de T.
Comme les espaces vectoriels T et T' sont isomorphes, on sait qu'ils ont même dimension. Pour prouver qu'ils sont égaux, il suffit donc de prouver, par exemple, que T' est inclus dans T. Soit une fonction de T'. Par définition de T', il existe une fonction f(t) telle que :
D'après (2.4) :
En remplaçant t par -t dans cette égalité, il vient :
Ceci suffit à prouver que admet une transformée de Fourier, donc que T'est inclus dans T. On peut réécrire cette dernière égalité :
(2.5)
L'égalité (2.5) constitue une propriété fondamentale de la transformation de Fourier : si on a déjà calculé la transformée de Fourier de f(t), soit , alors il est inutile de calculer la transformée de Fourier de , puisque cette transformée est donnée par (2.5). Nous verrons des exemples d'utilisation de cette propriété dans le paragraphe 3.
La construction de l'espace vectoriel T par rapport à l'espace vectoriel F est similaire à la construction de l'espace vectoriel A par rapport à l'espace vectoriel P, sauf que la somme infinie a été remplacée par une intégrale. Cette différence, en apparence bénigne, a une conséquence importante, qui peut s'énoncer ainsi : alors que les polynômes sont des cas particuliers de fonctions analytiques, les fonctions de F ne sont pas contenues dans T, à l'exception bien sûr de la fonction nulle.
Soit par exemple la fonction f(t) suivante, qui est bien contenue dans F :
avec . Supposons que f(t) soit également contenue dans T. Il existe alors une fonction x(w) telle que :
(2.6)
En dérivant (2.6) par rapport à t (et en admettant que l'on peut "dériver sous l'intégrale"), il vient :
(2.7)
Par ailleurs, en multipliant (2.6) par jw1, on obtient :
(2.8)
En retranchant (2.8) à (2.7), on trouve :
(2.6 bis)
Dérivons à nouveau cette égalité par rapport à t :
(2.7 bis)
En multipliant (2.6 bis) par jw2, on obtient par ailleurs :
(2.8 bis)
En retranchant (2.8 bis) à (2.7 bis), on trouve :
Comme on sait que est une bijection, cette dernière égalité se ramène à :
ce qui signifie que x(w) est forcément nulle partout ailleurs que pour w = w1 ou w = w2. D'après (2.6), cela suffit à prouver que f(t) est la fonction nulle.
La démonstration que nous venons de faire peut être aisément
généralisée à une combinaison linéaire
quelconque de fonctions de la famille de Fourier, et l'on peut conclure
que, parmi les fonctions de F, seule la fonction nulle est également
contenue dans T.
Il est gênant qu'aucune fonction de la famille de Fourier ne soit contenue dans T. On appelle impulsion de Dirac pour w = w0, et on note , la pseudo-fonction (on dit aussi distribution) telle que :
(2.9)
D'après l'étude précédente, il est clair que, pour toute valeur de w différente de w0 :
(2.10)
Par ailleurs, en réécrivant (2.9) pour t = 0, on obtient :
(2.11)
Cela signifie donc que est nulle partout, sauf pour w = w0 où elle est infinie. On peut approximer , qui n'est pas une fonction, par une fonction du type suivant (sur cet exemple, w0 = 2,3) :
Une telle fonction est appelée un pic (ou une impulsion) pour w = w0.
Remarques importantes :
(2.12)
On peut traduire cette égalité en disant qu'une fonction de la famille de Fourier a pour "transformée de Fourier" une impulsion de Dirac, à un facteur près. C'est abusif, puisqu'une impulsion de Dirac n'est pas une vraie fonction.
(2.13)
ce qui veut dire que la "transformée de Fourier" d'une impulsion de Dirac est une fonction de la famille de Fourier.
Nous reviendrons sur ces deux remarques dans le chapitre 3.
C'est une application qui, à une fonction f(x,y) de deux variables réelles, associe une fonction de deux variables réelles, définie par :
Nomenclature :
Remarque :
En analyse d'images, le signal dépend effectivement de deux variables donc, dans le cadre des travaux pratiques, on appliquera la plupart du temps des transformations de Fourier bidimensionnelles.
Dans ce paragraphe, nous allons étudier quelques fonctions, pour lesquelles le calcul de la transformée de Fourier peut être mené "à la main". Il ne faudra pas que le lecteur en conclue que toute transformée de Fourier pourrait être calculée de la sorte !
Pour chacune des fonctions qui suivent, avant de calculer sa transformée de Fourier, nous commencerons par donner son expression analytique, ainsi que son graphe. Ensuite, nous prouverons qu'elle est bien dans l'espace vectoriel T. Pour cela, nous nous contenterons en général de montrer que la fonction étudiée est bien contenue dans L1. En effet, pour toute fonction x(w) contenue dans L1, nous avons déjà vu que la fonction suivante :
est définie et appartient à T. Nous voyons que :
Comme est dans T, il s'ensuit que x(w) est également dans T. Le fait, pour une fonction x(w), d'être dans L1, est donc une condition suffisante pour être dans T (mais pas nécessaire, comme nous le verrons plus loin).
3.1.a. Définition et graphe.
La fonction "fenêtre" fF(t) est définie par l'expression analytique suivante :
Son graphe a l'allure suivante :
L'intégrale de fF(t) sur R valant 1, il est clair que cette fonction est absolument sommable, c'est-à-dire qu'elle appartient à L1, donc à T.
3.1.b. Calcul de sa transformée de Fourier.
Pour w = 0, la valeur cherchée est l'aire calculée précédemment, qui vaut 1 :
Pour w non nul, posons le calcul :
ce qui donne :
On appelle fonction "sinus cardinal", et on note sinc(w), la fonction égale à cette expression pour w non nul, et valant 1 pour w = 0. On a donc :
(2.14)
Une conséquence de ce résultat est que la fonction "sinus cardinal" est contenue dans T, puisque c'est une transformée de Fourier. On va donc pouvoir calculer sa propre transformée de Fourier :
3.2.a. Graphe.
On vient de donner la définition analytique de la fonction "sinus cardinal". Voici son graphe :
On peut montrer que la fonction "sinus cardinal" n'est pas contenue dans L1, mais on n'a pas besoin de ce résultat pour prouver qu'elle admet une transformée de Fourier, dans la mesure où l'on sait déjà qu'elle est contenue dans T. Néanmoins, c'est un résultat intéressant, car il permet de montrer qu'il existe des fonctions de T qui ne sont pas dans L1, et que donc l'espace vectoriel L1 est strictement inclus dans T.
3.2.b. Calcul de sa transformée de Fourier.
En utilisant la propriété (2.5), on peut écrire :
Comme fF(w) est une fonction paire, cela permet de conclure :
(2.15)
Or, nous allons voir par la suite que ce résultat est partiellement erroné.
D'après (2.14) et (2.4), nous pouvons écrire :
ce qui donne, pour t = 0 :
(2.16)
(2.17)
La dernière intégrale est nulle, puisque la fonction intégrée est impaire. Par ailleurs, il est bien connu que :
Grâce à cette identité et à la remarque précédente, (2.17) donne :
Si w est à la fois différent de 1 et de -1, alors :
En notant s le signe de (1+w) et s' le signe de (1-w), et en faisant les changements de variables u = (1+w)t et v = (1-w)t, on obtient :
Il faut distinguer les deux cas suivants :
et, d'après (2.16) :
Enfin, il faut traiter les cas w = -1 et w = 1 :
On peut récapituler les différents calculs précédents sous forme graphique :
Ceci montre que l'égalité (2.15) est vraie sauf pour w = -1 et w = 1.
De manière générale, si f(t) ou n'est pas absolument sommable (ici, c'est la fonction "sinus cardinal" qui n'est pas absolument sommable), alors (2.5) n'est pas vraie aux valeurs de discontinuité de la fonction conjuguée (ici, la fonction conjuguée, c'est-à-dire la fonction "fenêtre", est discontinue en -1 et en 1).
3.3.a. Définition et graphe.
La fonction "exponentielle décroissante" fe(t) est définie par l'expression analytique suivante :
Son graphe a l'allure suivante :
L'intégrale de fe(t) sur R valant 2 (facile à calculer), il est clair que cette fonction est absolument sommable, c'est-à-dire qu'elle appartient à L1, donc à T.
3.3.b. Calcul de sa transformée de Fourier.
Le calcul de la transformée de Fourier de fe(t) se fait aisément :
donc :
soit finalement :
On appelle fonction "cloche", et on note fc(t), la fonction . Voici son graphe :
On a donc la relation suivante :
(2.18)
3.3.c. Conséquence : calcul de la transformée de Fourier de la fonction "cloche".
La fonction "cloche", étant dans T, admet également une transformée de Fourier. Par ailleurs, cette fonction est contenue dans L1 (son intégrale sur R vaut , d'après (2.4) écrite pour t = 0), donc on peut utiliser l'identité (2.5) pour toute valeur de w, ce qui donne immédiatement :
(2.19)
Nous allons maintenant conclure ce paragraphe en citant quelques remarques générales sur le calcul des transformées de Fourier.
3.4.a. Une transformée de Fourier est en général une fonction à valeurs complexes.
Nous n'avons calculé de transformées de Fourier que pour des fonctions à valeurs réelles, paires. On peut montrer que de telles transformées de Fourier sont forcément à valeurs réelles, paires. D'ailleurs, la seule "fonction" non paire que nous avons étudiée est l'impulsion de Dirac , dont la transformée de Fourier est , qui n'est pas une fonction à valeurs réelles. Pour une transformée de Fourier à valeurs complexes, le tracé du graphe nécessite d'une part le tracé du module, et d'autre part le tracé de la "phase" (on dit aussi de "l'argument complexe").
3.4.b. Difficulté du calcul direct d'une transformée de Fourier.
Sur les quelques exemples de calculs de transformées de Fourier que nous avons menés dans le paragraphe précédent, il s'est avéré que le calcul pouvait être simple, comme pour la fonction "fenêtre", mais qu'il pouvait devenir rapidement compliqué. Pour en être totalement convaincu, il suffit de tenter de calculer directement la transformée de Fourier de la fonction "cloche" :
Après décomposition de la fraction en "éléments simples", on obtient :
En faisant les changements de variables u = t-j et v = t+j, cela donne :
Ces intégrales sont difficiles à calculer, car ce sont des intégrations dans le plan complexe. Leur calcul nécessite la connaissance de la méthode des résidus, connaissance qui n'est certainement pas à exiger de la part d'un étudiant en maîtrise d'informatique ! Si l'on ne connaît pas cette méthode, on reste souvent bloqué dans le calcul "à la main" d'une transformée de Fourier.
3.4.c. Combinaison de la transformation de Fourier avec des opérations entre fonctions.
Heureusement, pour calculer une transformée de Fourier, on n'est pas toujours obligé de faire le calcul entièrement "à la main". Il existe un certain nombre d'astuces, comme par exemple l'identité (2.5) qui nous a permis de calculer la transformée de Fourier de la fonction "cloche", sans pour autant connaître la méthode des résidus. Revenons brièvement sur le parallèle qui existe entre la transformation de Fourier et la dérivation.
(formule de Leibniz)
On peut ainsi calculer un grand nombre de dérivées "à la main".
Dorénavant, nous ne calculerons plus de transformées de Fourier "à la main". Nous verrons dans le chapitre 3 une autre manière de mener de tels calculs, à l'aide de l'outil informatique.
En guise de conclusion à ce paragraphe, voici un récapitulatif graphique des différents couples de transformées de Fourier que nous avons rencontrés :
Les impulsions de Dirac, ainsi que les fonctions de la famille de Fourier, ne sont pas contenues dans T, et la flèche qui les lie représente en fait non pas la transformation de Fourier, mais une "transformation de Fourier généralisée".
Quant à la flèche étiquetée par un point d'interrogation ?, elle signifie que rien n'empêche, en théorie, qu'il existe un couple de fonctions de T dont aucune ne soit contenue dans L1, mais que nous ne connaissons pas de tel couple.
Dorénavant, nous ne calculerons plus de transformées de Fourier "à la main". Nous verrons dans le chapitre 3 une autre manière de mener de tels calculs, à l'aide de l'outil informatique.