Entretien avec Yves Duthen, concevoir des systèmes artificiels à partir du vivant

Nous publions la cinquième vidéo de la série d’interviews présentant des travaux de recherche de nos différents départements. Yves DUTHEN, enseignant-chercheur au département CISO – Équipe REVA, explique son travail de recherche sur la vie artificielle. Il s’agit d’un domaine qui couple informatique, biologie et neurosciences dans le but d’une part de concevoir des systèmes artificiels inspirés du vivant, et d’autre part de fournir des outils pour explorer et comprendre le vivant.

La vie artificielle, quand l’informatique s’inspire du vivant

La vie artificielle s’intéresse aux propriétés du monde vivant, dans le but de concevoir des systèmes artificiels qui en reproduisent les caractéristiques. Parmi ces propriétés biologiques qui intéressent les chercheurs en informatique, on peut citer l’évolution simulée reprise par des algorithmes qui hybrident des programmes ; l’ontogenèse qui consiste à “faire pousser un système” ; l’adaptation et l’apprentissage dont s’inspire l’intelligence artificielle et la réplication ou reproduction comme dans la division cellulaire par exemple. La recherche sur la vie artificielle se développe surtout depuis une trentaine d’années à partir de travaux initiaux en simulation de comportements et en synthèse de forme. L’ambition consiste à s’inspirer du vivant pour concevoir des systèmes informatiques nouveaux (en particulier résiliants) et également à imaginer des modèles en virtuel (in silico) pour simuler le vivant dans une approche pluridisciplinaire. L’accroissement des connaissances en biologie associé aux avancées réalisées sur la puissance de calcul permet d’outiller les sciences du vivant pour, comme le dit Yves Duthen, “saisir l’intime de la vie.” Dans le domaine informatique, la recherche sur la vie artificielle concerne trois champs d’applications concrets qui sont le software (algorithmes inspirés du vivant), le hardware (robotique) et le wetware (biologie synthétique). 

Quels sont les enjeux liés à ce domaine de recherche ? 

“Certains chercheurs pensent que l’on se situe aujourd’hui, dans le domaine de la biologie synthétique, comme en 1970 en informatique avec à l’époque des outils permettant de manipuler uniquement quelques octets.” Yves DUTHEN

Aujourd’hui, les outils d’édition de gènes et de synthèse de protéines permettent de manipuler et de synthétiser les briques élémentaires du vivant laissant entrevoir la possibilité de programmer des bactéries ou cellules pour réaliser des fonctions (compilateur pour ADN). La possibilité de faire se développer des systèmes, de les répliquer ou de les hybrider avec des cellules vivantes permettrait de nombreuses applications dans le domaine médical et environnemental mais avec d’immense problèmes de sécurité.

D’autre part, concernant l’intelligence artificielle, un immense fossé sépare l’apprentissage machine de la cognition humaine (la compréhension du monde). La question qui préoccupe les chercheurs est de comprendre quelles sont les représentations du monde et les mécanismes d’apprentissage des êtres vivants, cellules, plantes et organismes évolués, et si ces dernières sont réplicables dans des systèmes artificiels. Hybrider des systèmes artificiels, vivants et cognitifs pose bien évidemment des questions éthiques majeures, qui font de ce domaine un carrefour où se croisent différentes disciplines scientifiques et humaines.